: Témoignages Comment vit-on avec 1 300, 2 800 ou 7 000 euros de revenus mensuels ? Trois familles se confient sans tabou sur leur pouvoir d'achat
Classes populaires, moyennes, aisées : alors que le coût de la vie est au cœur de la campagne présidentielle, trois familles de milieux différents décrivent leur rapport quotidien à l'argent.
Si vous pouviez augmenter votre revenu du jour au lendemain, quelle somme choisiriez-vous ? Alors que le pouvoir d'achat est devenu un thème central de la campagne présidentielle, nous avons rencontré trois familles appartenant respectivement aux classes populaires, classes moyennes et aisées (selon l'Observatoire des inégalités). Aubépine, 1 340 euros de revenus avec un enfant, appartient à la classe populaire et vit sous le seuil de pauvreté. Avec 2 800 euros et deux enfants, Vanessa fait partie de la classe moyenne. Et avec 7 000 euros, Claire et Louis*, deux enfants, font eux partie de la classe aisée. Nous avons demandé à ces trois familles comment elles gèrent leur budget. Mais aussi comment elles se situent par rapport au reste de la population.
Aubépine : 1 340 euros de revenus
Avec un salaire à 1 040 euros, 300 euros de la CAF et un fils de 7 ans qu'elle élève seule, Aubépine vit au-dessous du seuil de pauvreté, selon les données de l'Insee. Pourtant, cette Parisienne de 40 ans, accompagnante d'élèves en situation de handicap (AESH), ne se considère pas comme une personne pauvre : "J'ai un toit sur la tête et des gens autour de moi qui, de temps en temps, me filent un coup de main."
Lors du premier confinement, en mars 2020, Aubépine a perdu son emploi de serveuse dans un restaurant. Elle a dû emprunter de l'argent à des proches et faire appel à la solidarité : "De temps en temps, on avait un panier de fruits et légumes frais devant la porte. Les voisins avaient instauré un système avec un bac en plastique dans le hall de l'immeuble avec 'prend qui veut, donne qui peut'. Et puis les Restos du cœur, ce n'est pas une honte, c'est comme ça, il faut y aller."
"Quand j'ai vraiment besoin, je n'ai pas honte de demander."
Aubépineà franceinfo
Depuis un an et demi, cette mère célibataire a retrouvé du travail, un contrat de 31 heures dans un collège parisien. Après avoir versé le loyer de son appartement (650 euros), réglé internet, le forfait téléphone, la cantine, les courses et sa "dette due au Covid", Aubépine vit "à découvert". Quand on l'interroge sur l'augmentation des prix ces derniers mois, elle répond "système D" : "Je congèle les produits frais en promotion et je vais dans un magasin où la nourriture est proche de la péremption".
Les loisirs ? Les vacances se limitent à rendre visite à la famille en Seine-et-Marne et en Haute-Marne, ce qu'elle considère déjà "comme une chance". "Les grosses sorties, le Jardin d'Acclimatation, les trucs comme ça, c'est non". Pour que son fils de 7 ans puisse aller voir un film, Aubépine sollicite des "copines qui, avec leur CE, ont des cartes à cinq euros. On se débrouille. On va au cinéma mais on prend le pop corn dans le sac à dos", dit-elle dans un sourire.
Cette amatrice de lecture et d'après-midi bibliothèque n'a pas l'impression de se priver. "J'étais une épicurienne et je reste positive", ce qui ne l'empêche pas d'être inquiète : "Il y a au moins une semaine par mois où je ne suis vraiment pas bien parce que je sais que... C'est compliqué. Ça m'est arrivé de ne pas payer la cantine en me disant : bon, ben tant pis. Je suis endettée à la caisse des écoles".
"Parfois, je me dis : en fait, je ne peux pas acheter un croissant. Mais je ne m'interdis pas de le faire, même si je sais que le mois suivant, je serai un peu dans la merde."
Aubépine, 40 ans, mère célibataireà franceinfo
Quel serait le le bonus nécessaire à la tranquillité ? Aubépine réfléchit quelques secondes : "Ne serait-ce que 250 euros, je pense que déjà, j'envisagerais les choses différemment. Je n'aspire pas à gagner beaucoup d'argent, je n'ai pas besoin de beaucoup d'argent, mais juste de respirer, ne pas être angoissée par ça. Effectivement, je pense juste qu'avec 250 euros en plus, je respirerais mieux".
Vanessa : 2 800 euros de revenus
"Ce n'est pas rien quand même, c'est une sacrée somme, dit Vanessa à propos de ses 2 800 euros de revenus. Mais malgré tout, ça ne me permet pas de vivre confortablement". Pour élever ses deux fils de 5 et 9 ans dont elle a la garde principale, cette professeure de maths, qui n'est pas imposable, dispose d'un salaire de 2 300 euros, d'une pension alimentaire de 375 euros et de 132 euros versés par la CAF. Elle se situe financièrement dans la classe moyenne, entre les 30% de Français les plus pauvres et les 20% les plus riches.
"J'ai de quoi subvenir à mes besoins primordiaux, sans trop avoir à racler les fonds de tiroir, même s'il faut quand même faire attention."
Vanessa, 39 ans, mère de deux enfantsà franceinfo
Depuis le printemps dernier, Vanessa a quitté la banlieue d'une grande ville pour emménager dans un pavillon qu'elle a fait construire en périphérie d'une petite commune de Seine-Maritime. "Un choix de cadre de vie pour les enfants" qui représente plus de 30% de son budget. Viennent ensuite l'électricité, le chauffage, le téléphone, l'alimentation et le carburant, dont le prix a flambé : "On est le 20 du mois, il me reste 300 euros. Ce matin, j'ai lâché 150 euros pour les courses, il va falloir que je mette pour mon plein d'essence 60, 70 euros. Bon, eh bien il ne me reste pas grand-chose pour l'imprévu !"
La jeune femme peut tout de même compter sur "un petit pécule de côté". Un livret d'épargne de 20 000 euros constitué par ses grands-parents mais auquel elle souhaite "ne jamais toucher, sauf en cas de gros problème". Au quotidien, elle privilégie les "magasins discount", s'autorise "un restaurant tous les deux mois". "Pour les vacances, je pars avec ma sœur, comme ça, on partage les dépenses", explique-t-elle. Pas de séjour prévu en février, Vanessa préfère attendre cet été et "se faire plaisir".
Si elle pouvait augmenter son revenu d'un coup de baguette magique ? "400 euros de plus par mois, pour atteindre les 3 000... Je me dis que peut-être déjà, je serais plus sereine". En tant qu'enseignante, elle estime avoir été "préservée" durant la crise quand tant d'autres "ont souffert de baisses de salaires"."On a un toit qui n'est pas un taudis, on a un cadre de vie agréable, on mange à notre faim, insiste-t-elle. Mais malgré tout, c'est une vie un peu sans extra."
Claire et Louis : 7 000 euros de revenus
Claire et Louis*, 35 ans tous les deux, ne sont certes pas "dépensiers" mais ils le disent sans détour, avec 7 000 euros de revenus mensuels (9 000 euros de salaires moins impôts), le couple et leurs deux petites filles n'ont pas à se serrer la ceinture. "On ne se limite pas trop sur la nourriture", explique le père de famille. "Ni sur les loisirs, ajoute sa femme, On est inscrits dans un club de tennis tous les deux et on fait des sorties culturelles, on part en vacances une à deux fois par an."
Les deux trentenaires, qui exercent des "professions libérales", dépensent plus d'un tiers de leur budget dans le remboursement de leur prêt immobilier. Il y a un an, ces ex-Parisiens ont acheté une grande bâtisse datant du XVIIIe siècle dans une ville moyenne de l'Eure. À cause de cet investissement, ils ont arrêté de mettre de l'argent de côté mais conservent "un peu d'épargne qui permettrait d'affronter une dépense imprévue, comme racheter un véhicule", précise Claire.
Malgré "un certain standing", comme le décrit Louis, l'argent reste une préoccupation quotidienne. Ils ont en tête les travaux de la maison avec des coûts "mal estimés" mais aussi et surtout "la fiscalité" : "C'est très bien de pouvoir payer des impôts parce que ça veut dire qu'on gagne bien sa vie, juge Louis. Mais c'est assez angoissant parce qu'on ne sait jamais combien on va payer", affirme-t-il au sujet des crédits d'impôts.
"Un Français qui gagne le Smic va se dire : c'est des problèmes de riches, et c'est vrai. Mais le fait est qu'on se pose vraiment la question : est-ce qu'on travaille encore plus pour gagner plus ? Je trouve que le jeu n'en vaut pas la chandelle."
Louis, 35 ans, marié, deux enfantsà franceinfo
Lorsqu'on leur demande quel serait leur revenu idéal, Claire répond qu'ils n'ont pas "besoin de plus". "On a voulu un niveau de vie qu'on a connu avec nos parents, ajoute Louis. Je n'aspire pas à m'élever plus." Le couple a bien conscience de faire partie des 20% de Français les plus aisés mais ne se considère pas comme riche. "On n'a pas de revenu autre que notre salaire, on n'a pas de rente", argumente Claire.
Et Louis de conclure : "On a toujours peur de se dire : et si j'avais une grosse perte de revenus, comment je ferais ? On a cette pression d'être toujours au top pour maintenir ce train de vie. On ne fait pas partie des riches au sens où aujourd'hui, si on s'arrête de travailler, tout s'écroule."
*Les prénoms ont été modifiés
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